Formules Lubrifiants- Sylvain Iovine - Interview Zepros

Article publié ici par Ambre Delage le 22/04/2022

Avant d’en avoir sous le capot/, ils naissent dans nos labos, ces lubrifiants qui font, entre autres, tourner rond nos moteurs. Mais ne fait pas du lubrifiant qui veut. Une huile est formulée selon des recettes bien précises, elle est mise à l’épreuve et peut parfois mettre plusieurs années avant d’être utilisée dans nos autos. Et qui de mieux, pour nous en dévoiler les secrets, qu’un ingénieur chimiste spécialisé dans les carburants et les lubrifiants, qui a fourbi ses armes auprès des plus grands pétroliers et en développant des lubrifiants pour la Formule 1 ? Personne ! Entretien, donc, avec notre Directeur Technique, Grand Manitou de la formulation, Sylvain Iovine.

Pouvez-vous nous donner, en exclusivité mondiale, la formulation d’un lubrifiant ?

Non parce qu’il n’y a pas une formulation mais des centaines ! Globalement, le processus de fabrication de nos lubrifiants commence par de la chimie qui s’apparente un peu à de la cuisine. Il s’agit de faire des mélanges d’huiles de base minérales ou synthétiques que nous achetons auprès de raffineurs ou de chimistes, de plusieurs additifs (parfois 18 pour une seule formule), de composés et de polymères qui vont modifier les propriétés rhéologiques (tout ce qui relie la viscosité avec la température) du produit fini. L’objectif d’un lubrifiant c’est qu’il soit capable de fonctionner sur des plages de températures parfois très larges. Par exemple une huile qui va dans une dameuse en station de sports d’hiver va devoir fonctionner à -50° le matin en hiver et à +40° pour damer le glacier en été ! D’ailleurs, nous faisons apparaître sur toutes nos fiches techniques un indice de viscosité. Cet indice est directement corrélé à la largeur de la plage d’utilisation du produit selon la température.

C’est donc à cela que servent les indications et les chiffres sur les emballages ?

Oui ! Quand vous achetez une huile 10W50 par exemple, le premier chiffre traduit la viscosité à froid et le deuxième chiffre la viscosité à chaud. Donc pour faire simple : plus les deux chiffres sont éloignés, plus l’indice de viscosité est élevé donc plus la plage d’utilisation du produit en température est large.

Comment sourcez-vous vos matières premières ?

Nous priorisons surtout la constance et la qualité du produit. Des raffineurs il y en a beaucoup dans le monde, mais nous ciblons les principaux comme Exxon Mobil ou Chevron-Texaco. Donc même si nous pouvons potentiellement sourcer nos huiles de base dans le monde entier, nous avons un panel de fournisseurs volontairement restreint afin d’avoir une qualité produit qui soit constante et qui soit la meilleure possible. Pour les additifs, c’est pareil : nous travaillons avec les 4 principaux au niveau mondial.

Une fois la bonne formule trouvée, que se passe-t-il ?

Une fois que la formule est présélectionnée en laboratoire, nous allons effectuer des essais de tribologie, en grec, cela signifie « science du frottement ». C’est une phase très importante dans le domaine des lubrifiants qui consiste, pour une huile moteur par exemple, à simuler une partie d’un moteur pour voir comment notre lubrifiant se comporte spécifiquement sur cette partie-là. Si cette étape est validée, le lubrifiant est ensuite soumis à une phase de tests sur l’ensemble du moteur, soit sur un banc, soit directement sur les véhicules. Et ces essais sont généralement très longs.

Mon record, en 30 ans passés dans le lubrifiant, c’est un test réalisé pour Mercedes sur une huile de boite de vitesse pour faire 600 000 km sans vidange. Entre le lancement du programme et l’homologation par le constructeur cela a duré 8 ans !

Par quels aspects la R & D de vos produits est-elle drivée ?

D’abord, par la réduction des émissions de CO2. Notre rôle est donc de développer des huiles proposant des viscosités de plus en plus basses. Si basses, d’ailleurs, qu’on ne pouvait pas imaginer il y a 15 ans qu’un moteur puisse fonctionner avec de tels niveaux de viscosité ! Ensuite, notre R & D est conditionnée par les normes Euro qui, elles, ciblent les émissions à l’échappement. Nous devons donc travailler sur des formulations qui doivent à la fois être favorables au CO2 et compatibles avec des moteurs Euro 6 et demain Euro 7.

Il y a une autre tendance structurelle qui ne fait que s’amplifier depuis des années, en particulier sur les huiles moteurs, c’est que les spécifications constructeurs sont de plus en plus restreintes à chaque constructeur. Autrement dit, nous devons sortir des produits qui sont mono-application, voire qui ne vont être utilisables que chez un constructeur et pour un seul type de moteur chez ce constructeur ! Techniquement c’est un défi intéressant, mais qui ne simplifie pas la vie de nos clients et qui nous oblige à modifier notre business en pensant « petits conditionnements » plutôt que « fûts de 215 litres ».

Enfin, il ne vous aura pas échappé que le moteur thermique n’est pas nécessairement l’avenir de l’humanité. Cela nous oblige encore plus à travailler sur des innovations comme des fluides qui permettront, demain, de refroidir les batteries des véhicules électriques, ou encore des lubrifiants spécifiques aux technologies de transmission qu’embarquent ces VE.

A propos d’innovations, parlez-nous du label AURAE !

Ce label rassemble nos produits à caractère éco-responsable, c’est à dire, d’une part, des produits qui sont biodégradables et éco-compatibles, et d’autre part, des produits qui sont issus de l’économie circulaire. Pour les premiers, ce qu’il est important de retenir, c’est qu’ils sont à la fois biodégradables et faiblement toxiques. Pour être biodégradables nos lubrifiants AURAE doivent utiliser des huiles de base (qui comptent pour 70 à 95 % dans la formulation d’un lubrifiant) qui soient elles-mêmes biodégradables. Notre spécificité, c’est que nos formulations intègrent des huiles qui sont également respectueuses des organismes terrestres, aquatiques…

Pour nos produits issus de l’économie circulaire, nous recourrons à des huiles de base minérales qui sont récupérées puis re-raffinées, en prenant garde à ce qu’elles soient conformes à notre cahier des charges, et en réservant ces produits à certaines applications seulement comme les huiles hydrauliques par exemple. Ces huiles sont généralement d’excellente qualité. Nous en avons d’ailleurs qui après test, sur des critères tels que la filtrabilité et la tenue à l’oxydation et à la température, sont meilleures que des bases neuves !

L’accumulation actuelle de crises façon millefeuille a-t-elle complexifiée la fabrication de vos lubrifiants ?

Oui clairement ! Avec la pandémie beaucoup de raffineries se sont arrêtées ce qui a créé des tensions sur les huiles de base et sur l’ensemble des composants, donc on ne peut pas dire que ces dernières années ont été simples pour l’ensemble des acteurs, mais nous avons réussi à garder le cap et à garder des sourcing corrects. Le sujet qui fâche, c’est que les coûts ont flambé. Pour vous donner un exemple, lors de la deuxième semaine de la guerre en Ukraine, les huiles de base minérales ont augmenté de 26 %. Et ce sont des hausses que l’on ne peut pas répercuter à 100 % à nos clients…

Alors quelle est la recette de HAFA pour conjurer le sort ?

La clé c’est évidemment de ne pas avoir un seul sourcing sur les huiles et les additifs. Et puis nous avons vraiment mis l’accent sur le développement de nos alternatives de formulations. A iso-performance et autant que possible, nous avons 2 ou 3 formules interchangeables pour un même produit, tout en respectant les règles d’homologation constructeur. En tout, nous avons donc en portefeuille plus de 1 000 formulations différentes.

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